WEITERSWILLER

Anecdotes 5 : Les années d'étude

 

L'école primaire.

C'est donc l'année de mes 6 ans que je suis allé pour la première fois à l'école en 1956. Ni crèche, ni garderie en ces temps à la campagne. A l'époque l'école communale avait deux composantes selon les convictions religieuses, les classes catholiques et protestantes. Pour nous, dernière et donc unique famille juive de Weiterswiller, il n'y avait plus d'école confessionnelle spécifique depuis des lustres et nous avons donc intégré l'école protestante qui avait Madame Kuntz comme maîtresse.

Mme Kuntz M. Faerber

Madame Kuntz et Monsieur Faerber

 

Nous allions à l'époque à l'école le samedi mais étions dispensés d'écrire car c'est un interdit religieux fort. Cela n'a pas posé de problème particulier, ni pour moi, ni pour mes frère et sœurs. Les jours de fêtes juives nous prenions des jours de congé.
A la fin de classe, à 16 heures, nous faisions, avant de nous éparpiller dehors, une petite prière, debout, les doigts des mains croisés.

Reste avec nous Seigneur
Le jour décline
La nuit s'approche
Et nous menace tous
Reste avec nous Seigneur
Reste avec nous
Amen, au revoir Madame.

Cette prière récitée il y a plus de 60 ans est restée gravée dans ma mémoire car je comprenais de travers la quatrième phrase et pensais que c'était un mot en latin " énoumnastous " !! Ce n'est que des années plus tard que j'ai enfin compris le sens de la phrase.

A l'époque c'était le règne absolu de la plume Sergent Major avec ses corolaires, le porte-plume et l'encrier en porcelaine, récipient inséré dans le banc régulièrement approvisionné par la maîtresse, mais aussi le buvard, élément indispensable pour éviter les pâtés. Avec application nous devions faire de la calligraphie, des pleins et des déliés, en appuyant plus ou moins sur la petite plume insérée dans le porte-plume. Le stylo à bille était encore strictement interdit car impossible de faire une écriture correcte avec cette invention diabolique qui a tout de même fini par être acceptée pour s'imposer des années plus tard.

Trois années plus tard j'ai eu Monsieur Faerber pour les deux années de cours moyens avant de partir en classe de sixième au Lycée de Bouxwiller.

C'est chez cet instituteur, gros fumeur de cigarettes, que j'ai pu suivre épisodiquement les trajectoires d'objets volants bien identifiés comme des règles métalliques. Et leurs cibles savaient généralement les éviter. J'ai aussi pu assister à des corrections monumentales d'élèves sans doute trop perturbateurs ou parfois bien effrontés.

Le Lycée.

Mon passage en classe de 6ème ne posa aucun problème car j'avais un niveau correct. Pourtant cette première année à Bouxwiller fut un plongeon dans un nouveau monde avec des élèves très motivée, l'opposé de la majorité des enfants du village.
A nouveau j'avais classe le samedi et comme je ne pouvais pas, en raison des interdits religieux, prendre ce jour mon vélo puis plus tard le car de ramassage scolaire, je restais le vendredi soir à Bouxwiller et dormais chez une vieille dame, Mme Leibenguth. C'était, pour le jeune enfant que j'étais, très angoissant. Mon père apportait dans l'après-midi du vendredi un repas dans une cantine/gamelle d'ouvrier que me réchauffait au bain marie le soir venu ma logeuse. C'était tiède et peu appétissant et le vendredi soir était particulièrement morne. A la fin des cours du samedi, habituellement à midi, je rentrais à pied au village, soit une distance de 8 km depuis le lycée. Et les premiers mois mon père, accompagné de mes sœurs, venait à ma rencontre sur la route d'Obersoultzbach. Plus tard avec mes sœurs nous empruntions souvent l'ancien itinéraire, un chemin à travers les champs et bois pour sortit au Rottelweg. Et en automne, à la saison des noix, avions repéré un arbre sur notre chemin nous permettant une pause dégustation gratuite.

Comme nous étions une famille juive pratiquante et que nous ne mangions ni porc ni viande non cachère, je prenais tous les jours avec moi mon repas dans une cantine/gamelle d'ouvrier. Dès mon arrivée à Bouxwiller avec le car la gamelle était déposée au restaurant Au Pied de Bœuf ou j'allais manger à midi. Le repas réchauffé au bain marie avec un verre de limonade était mon quotidien tous les jours de classe. Ce régime s'est poursuivi durant toute ma scolarité à Bouxwiller - 6 années - avant de partir en terminale C au Lycée Kléber à Strasbourg ou j'ai enfin pu échapper à cette servitude. Je n'ai pas été pas seul à subir ce " traitement " car mes petites sœurs ont eu droit au même régime durant leurs années au Lycée.

La pension du vendredi soir chez Mme Leigenguth fut de courte durée et à partir de ma seconde année au Lycée je logeais chez une des dernières familles juives de Bouxwiller, la famille Marcel Weil, dont un des fils avait mon âge. En sa compagnie nous passions la soirée du vendredi à regarder la télévision en face de leur maison au restaurant Au Tilleul. C'est à cet endroit que le 22 novembre 1963 j'ai appris l'assassinat de John Kennedy, président des Etats Unis, qui, du haut de mes 13 ans, représentait le président modèle, une véritable icône. Les larmes m'en sont venues aux yeux ce jour-là. Ce n'est que des années plus tard que cette belle image s'est disloquée avec les révélations sulfureuses de la presse sur la famille Kennedy.

Le lycée de Bouxwiller

Le lycée de Bouxwiller

 

Au lycée de Bouxwiller à mon entrée en 6ème j'avais comme professeur principal l'enseignant de sciences naturelles Monsieur Israël, Maire de Neuwiller à l'époque. Il avait un sens de la moquerie assez développé. Quelques jours après la rentrée il posa à notre classe la question suivante " De quelle matière principale sont constituées les plantes ". Devant le profond silence des élèves et maitrisant ma très grande timidité, je levais finalement le doigt pour donner ma réponse : la cellulite…. Israël éclata alors d'un long rire sonore mais une fois calmé il me rassura sur mes connaissances scientifiques allant pratiquement à me féliciter car la réponse exacte n'était pas la cellulite mais la cellulose. C'est aussi cette première année que j'ai dû l'affronter un samedi matin car il voulait me faire prendre des notes. Mais mes sanglots non simulés lui ont fait lâcher prise.

Au Lycée les élèves juifs étaient peu nombreux et ceux respectueux des interdits étaient rares ce qui posait parfois des problèmes. Lors des dernières fêtes d'automne j'avais apporté au secrétariat du principal une demande de dispense d'écrire. La secrétaire parcoura la demande des yeux et relevant la tête me fit part de son incompréhension, argumentant que cette dispense n'avait pas de fondement car la professeure de français, juive respectueuse du samedi, faisait cours normalement durant ces fêtes.

C. Haehnel en 5e

Claude Haehnel en classe de 5e du lycée de Bouxwiller en 1962-63

 

Dans ma classe de 6ème il y avait un garçon prénommé Michel qui habitait à la sortie de Bouxwiller chez sa grand-mère. C'était, m'expliqua-t-il, en raison de légers problèmes respiratoires et du fait de l'importante pollution de l'air en Lorraine, région à l'époque très industrielle, où habitaient ses parents. Michel était abonné au journal Pilote et m'avait inondé, à ma grande joie, de ses anciens numéros car j'étais devenu son meilleur copain. A l'époque un des feuilletons en bande dessinée dont les héros étaient les pilotes d'avions Tanguy et Laverdure, rencontrait un réel succès auprès des lecteurs du journal. Et Michel, fasciné par les avions et extrêmement adroit de ses mains, sculptait avec minutie des morceaux de bois, reproduisant tous les modèles d'avions décrits dans le journal, avec une attention plus que minutieuse à tous les détails lors de la mise en couleur. C'était un artiste.

J'étais loin d'être un élève parfait et j'ai eu mes heures de colle comme la plupart des garçons de mon âge. Et la première fois ou j'ai eu le tarif habituel, deux heures de retenue, la convocation indiquait le travail à faire. Comme je voulais faire autre chose et que j'avais du temps, j'avais écrit la veille par avance sur des doubles feuilles la " punition ", le travail à réaliser durant la retenue. Et dès mon entrée en salle je tendis avec assurance à la surveillante, une jeune professeur d'allemand, mon œuvre. Elle regarda avec étonnement mon travail pour le réduire en mille morceaux sur le champ… J'avais compris à cet instant ce que signifient les heures de colle.

Afin d'échapper à ma tiède ration quotidienne sortie de ma cantine/gamelle au Pied de Bœuf, j'ai d'abord souhaité intégrer une seconde technique à Haguenau mais mon père ne m'a évidemment pas suivi. Par contre, comme j'étais fort en math et physique, matières qui m'ont toujours permis d'avoir la moyenne et de ne pas redoubler, j'ai réussi finalement à quitter Bouxwiller pour faire une terminale C à Strasbourg. Et c'est durant cette dernière année scolaire dans un tout nouveau cadre ou je ne connaissais personne que j'ai compris qu'il y avait après le baccalauréat des classes préparatoires menant aux grandes écoles. J'étais complètement ignorant de cette voie d'étude qui menait soit à l'agrégation soit au diplôme d'ingénieur car je ne connaissais que les études à l'Université. Il est vrai qu'au village les conversations, familiales ou entre copains, ne portaient jamais sur de tels sujets.

Et, après les mouvements et grèves de l'année 1968 j'ai eu mon baccalauréat et commencé des études Universitaires.

Le car de ramassage scolaire.

Le car de ramassage scolaire avait un parcours décrit dans un récit précédent. Venant d'Erckartswiller après Sparsbach il s'arrêtait à Weiterswiller à l'intersection de la rue principale et de la route de Weinbourg pour faire monter les enfants, élèves, pour l'essentiel, au Collège ou au Lycée.

Un jour, à la sortie de classe en fin d'après-midi, je suis monté dans notre car et, sans doute par bravade, me suis assis à la place d'un «grand» de Weinbourg. Comme il est d'usage, les voyageurs réguliers ont leurs petites habitudes et surtout leur place réservée. Ce grand de Weinbourg, adolescent d'origine africaine, d'un gabarit impressionnant, une «baraque», monta quelques secondes après moi, et, me voyant à sa place habituelle, s'approcha avec un large sourire, me prit au collet et me souleva avec une aisance manifeste pour me reposer gentiment sur un autre siège.

Nos chauffeurs n'étaient par contre pas spécialement portés sur l'humour. Il y avait une moquerie récurrente qui consistait, quand le moteur du car calait, à s'écrier en alsacien " un a liter ". Cette petite phrase exaspérait le conducteur du car et un jour l'un d'entre eux en est venu aux mains avec un élève du village qu'il voulait sortir de force du véhicule. Il avait pratiquement failli l'étrangler.

Ce même chauffeur, sur son parcours journalier, prenait à une intersection une route sur la gauche vers Niedersoultzbach. En raison de l'encombrement du véhicule il serrait d'abord à droite avant de tourner. Mais un jour, un automobiliste qui le suivait, voyant cette manœuvre et pensant que notre chauffeur se rangeait pour qu'il puisse le dépasser, entama sa manœuvre de dépassement et ne put malheureusement pas éviter l'accident, s'encastrant sur la roue avant quand le car braqua à gauche. Immédiatement le chauffeur cria plusieurs fois " j'ai mis mon clignotant " ce que contesta énergiquement le propriétaire du véhicule accidenté lors du constat. On nous demanda de témoigner au secrétariat ce dont je me suis bien gardé car je ne voulais pas faire un faux témoignage.

Les cours de religion

L'école primaire ne dispensait évidemment pas de cours de religion sur le judaïsme et j'ai appris à lire, écrire et traduire l'hébreu avec les quelques enfants juifs d'Ingwiller. Les cours étaient dispensés le jeudi après midi dans des locaux attenants à la synagogue par un rabbin habitant Strasbourg, Roger Cahen, qui passait par plusieurs localités durant cette journée. Mes sœurs et moi prenions le car Mugler de 13 heures jusqu'à la gare SNCF d'Ingwiller, car qui ramenait aussi des enfants de la petite communauté juive de Struth. A son arrêt à Weinbourg le conducteur du car avait l'habitude de prendre un demi de bière avant de poursuivre sa route. L'époque des contrôles d'alcoométrie n'était pas encore arrivée. Notre rabbin se déplaçait durant toutes ces années dans une deux chevaux qui nous semblait éternelle.

Rétrospectivement l'enseignement dispensé aux enfants des campagnes à l'époque était sommaire et nous donnait plutôt un léger vernis permettant de lire les prières et la bible en hébreu et de connaitre l'histoire du peuple juif. Car le rabbin était un excellent conteur qui savait captiver l'attention des enfants.

Les garçons juifs fêtent leur majorité religieuse, appelée Bar Mitzva, à 13 ans. A cette occasion ils lisent solennellement un passage de la thora. Et ceci nécessite un apprentissage sérieux car il faut savoir lire un texte sans voyelles tout en le chantant selon des règles très précises. Pour ce faire mon père s'est adressé au chantre de la synagogue de Haguenau, Monsieur Kugler, qui m'a donc appris le passage que je devais lire publiquement à la synagogue d'Ingwiller un samedi matin. Et ce fut loin d'être une partie de plaisir…

Durant pratiquement un an avant la date fatidique je partais chaque jeudi après midi par autocar à Ingwiller puis prenais le train pour Haguenau. C'était une véritable épreuve de faire cette expédition chaque semaine. Et mon enseignant était un homme plutôt exigeant ce qui avait pour conséquence de fréquentes séances de larmes non simulées.

Mais le samedi 25 mai 1963 j'étais fin prêt et ma Bar Mitzva se passa à la synagogue sans couac avec un excellent repas familial, concocté par un cuisinier retraité de Weiterswiller, chez mon oncle Raymond et son épouse Guity.

Novembre 2018

 
 

 

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François SCHUNCK - décembre 2007
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